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L'Alumnat de Bure

Deuxième partie

 L'alumnat de Bure


Histoire des alumnats v02

par le P. Polyeucte Guissard

Bonne Presse
Nihil obstat : Parisiis die 25e septembris 1954. Y. Jointer, A.A.
Imprimi potest : Romae die 1e octobris 1954. Wilfrid Dufault, Sup. Gen. A.A.
Imprimatur : Parisiis die 29e octobris 1954. Michel Potevin, V.G.

 

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Bure, abandonné en 1920, demeura vide pendant cinq ans. De temps à autre, des groupements de jeunesse y trouvèrent un campement provisoire; mais aucun hôte ne s'y installa de manière durable. II était évident que le vieux moutier attendait le retour de ses anciens habitants.

Le comte Carton de Wiart, qui avait acheté la propriété, désirait la revendre. Il avait constaté, sans doute, que les réparations seraient trop onéreuses. II enleva du château un certain nombre de pièces qui avaient une valeur historique : blasons ou plaques de cheminées et attendit un acquéreur. La maison, dans l'état actuel, ne pourrait être estimée à un prix très élevé et seule une œuvre comme la nôtre pourrait être tentée par elle.

Or, en 1923, la Belgique et la Hollande ayant été érigées en province, elles devaient, comme les autres, pourvoir sur leur territoire à leur propre recrutement. Il n'existait plus en Belgique qu'un alumnat de grammaire, Zepperen, et un alumnat d'humanités, Sart-les-Moines. Les Wallons devaient donc pour leurs études se transporter en pays flamand, ce qui pouvait être un obstacle.

Aussi, les religieux wallons firent-ils pression sur le P. Remi Kokel, provincial de Belgique-Hollande, pour qu'on reprît un alumnat en Wallonie. On fit dans ce but plusieurs recherches et finalement on revint à Bure, où nous attendaient les regrets et la sympathie unanimes de la population. Le vieux Nicolas Laffineur, que tous les anciens ont connu, qui faisait un peu dans le village fonction de vicaire in partibus, accomplissait chaque jour un pèlerinage à Notre-Dame de Bure pour le retour des alumnistes.

Son vœu fut exaucé. Bure fut racheté en 1925 et l'on décida d'y rouvrir l'alumnat à la rentrée d'automne.

Le P. Nestor Craisse, ancien alumniste des débuts et professeur de Bure, fut choisi pour devenir son deuxième fondateur. Au début des vacances de 1925, il arriva donc dans la vieille bâtisse désolée, avec les PP. Gonzalve Wélès, économe, et Liguori Ruytens, futur professeur, ainsi que 3 Frères convers. C'était la pauvreté et presque la misère. Mais on se mit courageusement à l'ouvrage. La population vint en aide de toute manière, les autres maisons envoyèrent livres et ameublement, de généreux bienfaiteurs surgirent et, le 1er octobre 1925, l'alumnat entrait dans sa seconde vie.

P. Nestor Craisse

La première année imposa aux pionniers de nombreuses privations, surtout durant l'hiver où le problème du chauffage se posa de façon aiguë, dans un pays où le froid est assez rigoureux. Les religieux réduits au strict minimum durent se multiplier : tour à tour surveillants, professeurs, menuisiers ou manœuvres. Ils furent secondés par le dévouement admirable de M. l'abbé A. Culot, curé de Mirwart, qui vint par tous les temps, à pied, de sa paroisse voisine, assurer une classe, uniquement pour l'amour de Dieu. Les enfants étaient une trentaine. 10 venaient de Zepperen pour implanter les traditions; les autres furent recrutés sur place. Le nouvel alumnat fut placé sous le patronage de Marie-Médiatrice.

Pour assurer les ressources, on se tourna spécialement vers la petite sainte Thérèse et l'on organisa un tour continu de neuvaines à la Sainte de Lisieux.

La deuxième année débuta avec 50 enfants.

Durant les vacances, on avait élevé, en face de la maison, un modeste local de 20 mètres sur 8 mètres, en blocs de ciment, pour servir de salle de conférences et de récréations. Elles eurent bien vite un grand succès auprès des habitants et tout en faisant du bien aux auditeurs elles furent d'un bon rapport. Les alumnistes de leur côté en firent leur salle de fêtes. Que de réunions d'anciens, que de séances de cinéma, que de fêtes de charité se sont déroulées dans ces modestes murs ! Un incendie les a détruits en 1948. Sans doute sera-ce l'occasion d'élever à la place une construction plus moderne et plus spacieuse.

Salle des fêtes

L'hiver de 1927 apporta la première épreuve. Comme on n'avait pas de charbon, il fallait chercher, les jours de congé, du bois de chauffage dans la forêt prochaine. Une grippe très maligne sévit dans la communauté et l'on fut contraint de licencier les alumnistes durant une quinzaine.

Aux vacances de Pâques, les alumnistes de Sart vinrent passer quelques jours avec leurs benjamins. Ces rencontres fraternelles, qui durèrent jusqu'à ce qu'on établît les vacances de Pâques en famille, étaient pour tous aussi joyeuses que salutaires. Cette année aussi l'alumnat prit part, de plein droit, aux solennités grandioses qui marquèrent le XIIe centenaire de la mort de saint Hubert. Les fêtes furent présidées par un cardinal légat, et l'église de Saint-Hubert fut élevée au rang de basilique mineure.

L'année 1927-1928 donna à Bure 60 enfants répartis en trois sections. La maison fut rajeunie et considérablement modernisée. Les études et les classes furent repeintes au sicco. On établit des bains et des salles de douches, une nouvelle cuisinière remplaça l'ancienne démodée; les énormes piliers du réfectoire disparurent et firent place à des colonnes de fonte, ce qui donnait un peu plus d'espace et de lumière.

C'est également cette année que fut reprise l'heureuse tradition de la réunion des anciens. Ceux-ci, très nombreux en Wallonie, surtout dans le diocèse de Namur, restent très attachés à leur maison. Ils y passent volontiers, toujours accueillis comme des Frères. A l'assemblée annuelle, ils sont fidèles et toujours plus nombreux : chanoines, doyens, curés, professeurs, pieux laïques, voire même un évêque, -Mgr Piérard, -ils redeviennent pour un jour aussi jeunes que les alumnistes et ce sont eux qui se font nos plus efficaces recruteurs. Toutes les générations y sont représentées depuis la première avec M. l'abbé Collard et le P. Rodrigue Moors, actuel provincial de Belgique, la seconde avec M. le chanoine Misson, décédé en 1945. MM. les abbés Culot, Davin, etc., la troisième avec MM. les abbés Rézer, doyen de Nassogne, longtemps dynamique président de l'Association; l'abbé Tavier, mort en captivité, etc., jusqu'aux années les plus récentes. Rien ne vaut ces journées de liesse et de solennité fraternelle pour assurer du passé au présent la continuité de l'esprit et des traditions.

Le progrès fut continuel, si bien qu'en 1932, Bure comptait 80 alumnistes. Il venait d'en envoyer 17 à Sart-les-Moines. La maison était comble et le problème se posait chaque jour plus urgent d'aménagements nouveaux. Mais le P. Nestor qui en rêvait, ne devait pas avoir le bonheur de les réaliser.

En 1934, au terme de son troisième triennat, il quittait l'alumnat avec lequel il s'était à ce point identifié qu'on avait peine à se le figurer sans lui. A juste titre, il conservait le nom de refondateur de Bure.

C'est le P. Jean-Emmanuel Lieffring qui prit la succession. Il avait vingt-huit ans et deux ans de sacerdoce, mais déjà une gravité précoce qui lui permettrait de s'imposer. Le personnel de la maison comprenait ensuite : le P. Gonzalve, chargé, outre ses cours de sciences et de lecture, des relations avec les bienfaiteurs et du bulletin Jeunesse, rédigé avec tant de soin et d'une plume si alerte qu'il était copié par tout le monde.

Le P. Maubert, professeur de troisième : saluons en passant ce vétéran des alumnats de grammaire qui inculqua à tant de générations une connaissance solide du latin et du grec et qui abandonna avec nostalgie les collines de Bure pour la poésie, mais aussi les fumées de Sart-les-Moines. Le P. Eleuthère Elsen, professeur de quatrième; le Fr. Marie Fidèle Lerot, professeur de cinquième; le P. Rombaut Lambré, professeur de sixième; le P. Nivard Prévôt, économe; le P. Eduardus Van Berkel, professeur de flamand. Enfin, le Fr. Théodore Kruift, convers, jardinier, commissionnaire et factotum.

De nouveau, au début de l'année scolaire, la grippe s'abattit sur la maison, mais on n'eut pas besoin de renvoyer les enfants. Plusieurs cas d'appendicite se déclarèrent subitement, et certains durent être opérés d'urgence. Le P. Jean-Emmanuel écrivait, à la fin du premier trimestre :

La maison devient trop petite, car on ne peut dépasser 80. Il faudrait recevoir 90 à 100 élèves pour avoir des sections également fournies. J'ai exposé cela au Père provincial, il m'a répondu : 'Vous n'avez pas d'argent, il ne faut pas songer à vous agrandir.'

C'était une sage réponse qui ne résolvait rien. La situation deviendrait plus urgente lorsque deux ans plus tard on déciderait d'adopter les six années d'humanités, pour permettre à nos élèves de conquérir leurs diplômes officiels.

Mais le jeune supérieur était d'un pays et d'une race obstinés. Il résolut d'aller de l'avant. Il s'assura lui-même des concours importants auprès de bienfaiteurs nouveaux, intéressa à son projet le R. Père général, et fit immédiatement dresser les plans d'une nouvelle bâtisse. Ces plans magnifiques, dus à un ancien alumniste, exposés dans la salle de récréation, excitaient l'admiration, mais étaient généralement contemplés avec un scepticisme souriant. Jamais on ne pourrait réaliser ce beau rêve. Et pourtant, l'impossible fut réalisé, et dans un temps record. Les nouvelles constructions, en pierre de taille du pays, consistent en une aile posée en équerre contre la tour d'angle, de façon qu'on l'aperçoive de face en franchissant le portail d'entrée. Elle ferme la cour du côté du jardin. Son architecture et son aspect s'harmonisent parfaitement avec le bâtiment ancien et en constituent le prolongement naturel. C'est une réussite. On y trouve, au sous-sol, un vaste réfectoire et une nouvelle cuisine très claire. Par un escalier en terrasse, on accède au rez-de-chaussée où s'étendent les classes, l'étude, un préau et des W.-C. Au premier, les cellules de part et d'autre d'un corridor, et enfin, la chapelle; au deuxième étage, des lavabos vastes, avec eau courante.

Le bâtiment, avec l'aile de 1936

Les anciens locaux ont été aussi transformés. L'ancien réfectoire a disparu, on en a fait une salle de vaisselle, des salles pour les légumes et les provisions. Au-dessus, l'habitation des Sœurs, et, tout en haut, un vaste dortoir de cent lits, qui fait suite aux vieux dortoirs où gelaient les anciens.

En dessous, un corridor en ciment est bordé des deux côtés d'une double rangée de chambres qui remplacent les anciennes cellules, les classes et l'étude. Au rez-de-chaussée, les parloirs, la salle de récréation, des dépenses, des débarras. Le vestibule de chasse, le grand hall et son escalier monumental avec sa rampe en fer forgé ne sont plus qu'un souvenir. L'ancienne chapelle, la sacristie, les caves, la menuiserie et les divers locaux sont restés en état, mais plusieurs ne servent plus que de remise. Signalons encore, au-dessus du vieux réfectoire une grande salle de récréation pour les jours de pluie, qu'on peut transformer en théâtre, et au-dessus, une belle infirmerie. Le chauffage central distribue une agréable température dans ces murs parfaitement étanches.

Le 17 juin 1937, le T. R. P. Gervais, entouré de nombreux religieux de la province et d'un groupe compact d'anciens bénissait la nouvelle chapelle, d'un style original et du plus bel effet. Les arcades qui en divisent les travées lui ménagent une perspective d'une profondeur impressionnante. Elle paraît plus longue qu'elle n'est, en réalité. Deux rangées de stalles peuvent recevoir une centaine d'enfants et, sous la tribune, l'espace libre peut donner accès à autant de visiteurs.

La chapelle, dans l'aile de 1936

C'est M. le chanoine Misson qui célébra la messe sur le superbe autel de marbre. En septembre de la même année, le P. Jean-Emmanuel, son oeuvre terminée, reprenait, à Sart, sa classe de poésie et le P. Nestor revenait, à nouveau dans cet alumnat dilaté, dont on pensait bien qu'il serait longtemps à l'abri de nouvelles vicissitudes.

Hélas ! l'année suivante, au début de juin, un incendie dont on ne put déterminer la cause, éclata, un matin, dans la sacristie, à l'extrémité de l'aile neuve. Le feu fut si rapide et si violent qu'on ne put pas sauver grand-chose de la chapelle, et qu'au dortoir plusieurs élèves perdirent leur trousseau. Il fallut écourter l'année. Heureusement, les murs étaient solides. Ils résistèrent parfaitement. On se mit d'arrache-pied à la restauration, on entreprit par une campagne de prédications dans les paroisses de trouver les ressources nécessaires pour relever les ruines et à la rentrée, Bure reprenait sa marche en avant.

Incendie de 1938

Le 10 mai 1940, le Père provincial de Belgique était à Bure pour la visite canonique, quand éclata comme le tonnerre, la nouvelle de l'invasion. On était aux premières loges. Jemelle était bombardée à 5 heures du matin et la ligne de Bruxelles à Arlon était coupée. Le P. Louis Debry se rendit à pied à Rochefort et mit dans les derniers trains en partance, les enfants qui pouvaient atteindre leurs familles. Il en restait 13 qui ne pouvaient rejoindre la province de Luxembourg. Ils se dirigèrent avec le P. Nestor et quelques religieux, vers Saint-Gérard, puis Sart, puis Taintegnies, et aboutirent finalement au Bizet, où ils attendirent les événements. Après la capitulation du 28 mai, ils revinrent à Bure, par petites étapes et par des moyens de fortune. Le dernier religieux avait quitté l'alumnat le 12 mai, laissant la clé au maire du village. La maison avait peu souffert si ce n'est, comme partout ailleurs, de légères déprédations. L'année scolaire, avec les enfants qui revinrent en partie, s'acheva vaille que vaille jusqu'aux vacances.

Un calme relatif s'établit alors en Belgique et les classes reprirent leur cours normal durant toute la durée de la guerre. Si les privations n'épargnèrent pas les alumnistes, du moins la vie fut plus facile que dans les régions industrielles. La ferme fut d'un grand secours. Dans ce pays, entièrement agricole, on trouva des pommes de terre qui sont la base du régime. Les familles se firent un devoir de fournir quelques suppléments aux enfants et surtout, supérieur, économe, religieux firent de nombreux voyages pour en rapporter des provisions, malgré les tracasseries des contrôleurs au ravitaillement qui infestaient toutes les voies de communications.

En 1941, le P. Jean-Marie Decorte remplaça le P. Nestor, qui regagna Sart pour la seconde fois.

Le T.R. Père général fit à Bure une rapide visite, en juillet 1942, pour encourager cette maison quelque peu isolée.

Les Allemands étaient peu nombreux aux alentours immédiats, et l'on fut presque toujours assez tranquille. Cependant, en août 1944, un Allemand ayant été abattu par le maquis, à l'entrée de la localité, il y eut dans le village et les villages voisins des rafles d'otages, et l'on put craindre un moment d'être pris dans les représailles. Il n'en fut rien, heureusement.

La Libération se fit sans incident, et l'on pouvait remercier Dieu d'avoir traversé la guerre sans accroc, quand tout fut remis en question par l'offensive des Ardennes, en décembre 1944.

La poussée allemande dépassa légèrement Rochefort, et Bure fut ainsi en première ligne, durant quelques semaines réellement tragiques.

Du 1er au 4 janvier 1945, Bure fut l'enjeu de combats acharnés. Il fut pris et repris quatre ou cinq fois, tandis que les Pères et toute la population étaient réfugiés dans les caves de l'alumnat. Les projectiles de moyen calibre ne pouvaient endommager sérieusement des murs aussi solides et aussi épais. La maison eut maintes blessures, mais aucune ne fut mortelle. La Libération définitive eut lieu, le 4 janvier. Le village était entièrement détruit depuis l'entrée jusqu'à l'église. Les enfants, qui étaient en vacances de Noël, ne purent rentrer qu'au début de février. On avait, entre temps, réparé toitures et carreaux. Il fallut un peu plus de temps pour remettre en état le chauffage central et la première année 1945, fut assez inconfortable à cause de l'hiver particulièrement rigoureux. Une lourde épreuve frappa l'alumnat, quelques jours après la bataille. Le P. Charles Bier qui recherchait aux environs les cadavres alliés, mit le pied sur une mine terrestre qui lui arracha le pied. Transporté à l'hôpital, il dut y subir l'amputation de la jambe droite; heureux encore de survivre aux terribles blessures qui auraient pu être mortelles. En 1946, Bure célébra avec une solennité spéciale, au milieu d'un concours énorme d'anciens, le 75e anniversaire de la fondation des alumnats, que présidait Mgr Piérard, ancien de Bure, vicaire apostolique de Beni. Le P. Jean-Marie, nommé supérieur de Bruxelles, laissait la place au P. Ernest Crèvecœur, qui lui-même, après trois années sans événements notoires, transmettait ses pouvoirs au P. Séverin Sevrin, ancien de 1902-1906.

En 1950, Bure fêtera le cinquantenaire de sa fondation, 16 octobre 1900. Puisse ce demi-siècle de travaux, d'épreuves, de succès, avoir préparé pour l'antique demeure un avenir aussi fécond que son glorieux passé !

50e anniversaire de l'alumnat